Том 3. Публицистические произведения - Тютчев Федор Иванович - Страница 18
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Et si d’une part une semblable disposition des esprits suffit à elle seule pour faire avorter les réformes les plus généreuses et les plus loyales, d’autre part l’insuccès de ces réformes ne peut qu’ajouter infiniment à l’irritation générale, confirmer l’opinion dans sa haine pour l’autorité rétablie et — recruter pour l’ennemi.
Voilà certes une situation parfaitement déplorable et qui a tous les caractères d’un châtiment providentiel. Car pour un prêtre chrétien quel plus grand malheur peut-on imaginer que celui de se voir ainsi fatalement investi d’un pouvoir qu’il ne peut exercer qu’au détriment des âmes et pour la ruine de la Religion!.. Non, en vérité, cette situation est trop violente, trop contre nature pour pouvoir se prolonger. Châtiment ou épreuve, il est impossible que la Papauté romaine reste longtemps encore enfermée dans ce cercle de feu sans que Dieu dans Sa miséricorde lui vienne en aide et lui ouvre une voie, une issue merveilleuse, éclatante, inattendue — ou, disons mieux, attendue depuis des siècles.
Peut-être en est-elle séparée encore, elle — la Papauté — et l’Eglise soumise à ses lois, par bien des tribulations et bien des désastres; peut-être n’est-elle encore qu’à l’entrée de ces temps calamiteux. Car ce ne sera pas une petite flamme, ce ne sera pas un incendie de quelques heures que celui qui, en dévorant et réduisant en cendres des siècles entiers de préoccupations mondaines et d’inimitiés anti-chrétiennes, fera enfin crouler devant elle cette fatale barrière qui lui cachait l’issue désirée.
Et comment à la vue de ce qui se passe, en présence de cette organisation nouvelle du principe du mal, la plus savante et la plus formidable que les hommes aient jamais vue, — en présence de ce monde du mal tout constitué et tout armé, avec son église d’irréligion et son gouvernement de révolte, — comment, disons-nous, serait-il interdit aux chrétiens d’espérer que Dieu daignera proportionner les forces de Son Eglise à Lui, à la nouvelle tâche qu’Il lui assigne? — Qu’à la veille des combats qui se préparent Il daignera lui restituer la plénitude de ses forces, et qu’à cet effet Lui-même, à son heure, viendra, de Sa main miséricordieuse, guérir au flanc de Son Eglise la plaie que la main des hommes y a faite — cette plaie ouverte qui saigne depuis huit cents ans!..
L’Eglise Orthodoxe n’a jamais désespéré de cette guérison. Elle l’attend — elle y compte — non pas avec confiance, mais avec certitude. Comment ce qui est Un par principe, ce qui est Un dans l’Eternité, ne triompherait-il pas de la désunion dans le temps? En dépit de la séparation de plusieurs siècles et à travers toutes les préventions humaines elle n’a cessé de reconnaître que le principe chrétien n’a jamais péri dans l’Eglise de Rome; qu’il a toujours été plus fort en elle que l’erreur et la passion des hommes, et voilà pourquoi elle a la conviction intime qu’il sera plus fort que tous ses ennemis. Elle sait, de plus, qu’à l’heure qu’il est, comme depuis des siècles, les destinées chrétiennes de l’Occident sont toujours encore entre les mains de l’Eglise de
Rome et elle espère qu’au jour de la grande réunion elle lui restituera intact ce dépôt sacré.
Qu’il nous soit permis de rappeler, en finissant, un incident qui se rattache à la visite que l’Empereur de Russie a faite à Rome en 1846. On s’y souviendra peut-être encore de l’émotion générale qui l’a accueilli à son apparition dans l’église de Saint-Pierre — l’apparition de l’Empereur orthodoxe revenu à Rome après plusieurs siècles d’absence! et du mouvement électrique qui a parcouru la foule, lorsqu’on l’a vu aller prier au tombeau des Apôtres. Cette émotion était juste et légitime. L’Empereur prosterné n’y était pas seul. Toute la Russie était là prosternée avec lui. — Espérons qu’il n’aura pas prié en vain devant les saintes reliques.
Le mouvement de Février, en bonne logique, aurait dû aboutir à une croisade de tout l’Occident révolutionné contre la Russie… Si cela n’a pas eu lieu, c’est la preuve que la Révolution n’a pas la vitalité nécessaire, ne fût-ce même que pour organiser la destruction en grand. En d’autres termes, la Révolution est la maladie qui dévore l’Occident. Elle n’est pas l’âme qui fait mouvement.
De là la possibilité de la réaction, comme celle inaugurée par les journées de juin de l’année dernière. C’est la réaction des parties non encore entamées de l’organisme souffrant contre l’envahissement progressif de la maladie. — Cette résistance de Juin et toutes celles qu’elle a déterminées à sa suite sont un grand fait, une grande Révélation. Il est clair maintenant que la Révolution ne peut plus espérer nulle part de se faire gouvernement. Et s’emparât-elle momentanément du Pouvoir, elle ne ferait que déterminer une guerre civile, une guerre intestine. C’est-à-d
Pour le moment la Révolution est matériellement désarmée.
La répression de juin 1848 lui a paralysé les bras, la victoire de la Russie en Hongrie lui a fait tomber les armes des mains. Il va sans dire que pour être désarmée la Révolution n’en est pas moins pleine de vie et de vigueur. Elle se retire pour le moment du champ de bataille, elle l’abandonne à ses vainqueurs. Que vont-ils faire de leur victoire?..
Et d’abord, où en sont maintenant les Pouvoirs réguliers en Occident? Car pour préjuger quels peuvent être à l’avenir leurs rapports vis-à-vis de la Révolution, il faudrait déterminer au préalable quelles sont les conditions morales de leur existence à eux-mêmes. En un mot, quel est le symbole de foi qu’ils ont à opposer au symbole de la Révolution?
Quant au symbole révolutionnaire, nous le connaissons, et précisément, parce que nous le connaissons, nous nous expliquons fort bien d’où lui vient son ascendant irrésistible sur l’Occident, — les méprises ne sont plus possibles, toute équivoque volontaire ou involontaire serait hors de saison.
La Révolution, à la considérer dans son principe le plus essentiel, le plus élémentaire, est le produit net, le dernier mot, le mot suprême de ce que l’on est convenu d’appeler depuis 3 siècles la civilisation de l’Occident. C’est la pensée moderne toute entière depuis sa rupture avec l’Eglise.
Cette pensée est celle-ci: l’homme, en définitive, ne relève que de lui-même, tant pour la direction de sa raison que pour celle de sa volonté. Tout pouvoir vient de l’homme, tout autorité qui se réclame d’un titre supérieur à l’homme n’est qu’une illusion ou une déception. En un mot, c’est l’apothéose du moi humain dans le sens le plus littéral du mot.
Tel est qui l’ignore, le credo de l’école révolutionnaire; mais, sérieusement parlant, la société de l’Occident, la civilisation de l’Occident en a-t-elle un autre?..
Et les Pouvoirs publics de cette société, eux, qui depuis des générations n’ont eu pour y vivre d’autre milieu intellectuel que celui-là, comment feront-ils maintenant pour en sortir? Et comment, sans en sortir, trouveront-ils le point d’Archimède dont ils ont besoin pour y placer leur levier?
M-r Guizot lui-même a beau tonner maintenant contre la démocratie européenne, a beau lui reprocher, comme le principe de toutes ses erreurs et de tous ses méfaits, son idolâtrie pour elle-même: la démocratie occidentale, en se prenant pour l’objet de son culte, n’a fait, il faut bien le reconnaître, que suivre aveuglement les instincts que vous-même et vos propres doctrines ont contribué, autant que quoi que soit, à développer en elle? En effet, qui donc, plus que vous et votre école a réclamé, a revendiqué pour la raison de l’homme les droits de l’autonomie; qui nous a enseigné à voir dans la réformation religieuse du 16-ième siècle moins encore un mouvement de réaction contre les abus et les prétentions illégitimes du catholicisme romain qu’une ère de l’émancipation définitive de la raison humaine, salué dans la philosophie moderne la formule scientifique de cette émancipation et glorifié dans le mouvement révolutionnaire de 1789 l’avènement au pouvoir, la prise de possession de la société moderne, par cette raison de l’homme, ainsi émancipé et ne relevant plus que d’elle-même? Après de pareils enseignements comment voulez-vous que le moi humain, cette molécule constitutive de la démocratie moderne, ne se prendrait-il pour l’objet de son idolâtrie, et puisque, de compte fait, il n’est tenu à reconnaître d’autre autorité que la sienne et qui prétendez-vous qu’il adore si ce n’est lui-même? S’il ne le faisait pas, ce serait, ma foi, <нрзб.> modestie de sa part.
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