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Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта - Страница 19


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La colere montait en elle, mais elle la maitrisait au prix d'un violent effort de volonte. Autour d'elle, les pelerins qui pouvaient comprendre le francais s'attroupaient, mais le Prieur les ecartait de son mieux. Elle revint vers la civiere, dominant l'homme etendu de toute sa taille et, calmement, croisa les bras.

— Mais vous me haissez, Fortunat ? Voila qui est nouveau ?

— Croyez-vous ? fit-il avec un regard mauvais. Ce n'est pas une nouveaute pour moi ! Voila des mois et des mois que je vous hais !

Depuis ce jour maudit ou vous l'avez laisse partir avec le moine, lui, votre epoux que vous pretendiez aimer!

— J'ai obei a ses ordres ! Il le voulait ainsi !

— Si vous l'aviez aime, vous l'auriez garde de force ! Si vous l'aviez aime, vous l'auriez emmene en quelque domaine ecarte, vous l'auriez soigne, vous seriez morte de son mal...

— Encore que je ne vous reconnaisse pas le droit de juger ma conduite, Dieu m'est temoin que, libre d'agir a ma guise, je n'aurais rien souhaite de plus doux ! Mais j'avais un fils ! Et son pere exigeait que je veille sur lui !

— Peut-etre. Mais, dans ce cas, vous n'aviez que faire de courir a la cour ! Est-ce aussi pour obeir a votre epoux que vous vous etes consolee dans les bras du seigneur de Breze, que vous l'avez envoye briser le c?ur de dame Isabelle... et celui de messire Arnaud, et qu'enfin vous l'avez epouse ?

C'est faux ! Je suis toujours la dame de Montsalvy et defends a quiconque d'en douter ! Messire de Breze a pris ses desirs pour des realites. Avez-vous autre chose a me reprocher ?

Sans que les deux adversaires y prissent garde, le ton de leurs-voix montait, prenait le rythme violent et l'eclat de la dispute. Le Prieur, voyant toutes les tetes tournees vers Catherine, voulut intervenir :

— Ma fille ! Peut-etre prefereriez-vous vider ce debat dans le calme ! Je vais vous faire conduire dans la salle capitulaire, vous et cet homme...

Mais elle refusa d'un geste plein de fierte.

— Inutile, mon pere ! Ce que j'ai a dire, le monde entier peut l'entendre car je n'ai rien a me reprocher ! Alors, Fortunat, reprit-elle, j'attends ! Qu'avez-vous encore a dire ?

Sourdement, mais avec une intraduisible expression de haine concentree, F ecuyer d'Arnaud lanca :

— Tout ce qu'il a endure a cause de vous ! Savez- vous seulement ce qu'a ete son calvaire, depuis le jour ou vous l'avez rejete ? Ces jours sans espoir, ces nuits sans sommeil, avec l'abominable pensee qu'il etait un mort vivant ! Moi, je le sais, parce que je l'aimais ! Toutes les semaines, j'allais le retrouver. Il etait mon maitre, le meilleur, le plus vaillant et le plus loyal des chevaliers !

— Qui dit le contraire ? Pensez-vous m'apprendre les vertus de l'homme que j'aime ?

— Que vous aimez ? ricana Fortunat. A d'autres ! Moi, je l'ai aime, avec devotion, avec respect, avec tout ce qu'il y a de meilleur en moi !

— Je ne l'aime pas ? Pourquoi suis-je ici, alors ? N'avez-vous pas compris que je le cherche ?

— Vous le cherchez ?

Brusquement, Fortunat s'interrompit. Il devisagea Catherine avec une joie maligne et, soudain, il eclata de rire, un rire insultant, feroce, qui donna a la jeune femme, plus que les injures, la pleine mesure de la haine que lui portait le Gascon !

— Eh bien, cherchez, belle dame ! Il est perdu pour vous... perdu a tout jamais ! Vous entendez ! PERDU !...

Il avait crie le mot, comme s'il craignait que Catherine n'en eut pas senti toute la desesperante portee. Mais c'etait inutile, Catherine avait compris. Elle avait meme chancele sous la brutalite du coup, trouvant cependant assez de force pour repousser la main de Jean qui se tendait pour la soutenir.

— II... est mort ! fit-elle d'une voix blanche.

Mais, de nouveau, Fortunat eclata de rire.

— Mort ? Jamais de la vie ! Mais heureux, debarrasse de vous, gueri...

— GUERI ? Mon Dieu ! Saint Jacques a fait un miracle !

A son tour, elle avait crie le mot, mais avec une ferveur eblouie que le Gascon se hata de detruire. Il haussa les epaules irreverencieusement, ce qui fit froncer les sourcils du Prieur.

— Il n'y a pas eu de miracle et, si je revere Monseigneur saint Jacques, je dois reconnaitre qu'il n'a pas exauce les prieres de messire Arnaud. Pourquoi l'aurait-il fait, d'ailleurs ? Messire Arnaud n'etait pas lepreux !

— Pas... lepreux ? balbutia Catherine. Mais...

— Mais vous vous etes trompee, comme tout le monde d'ailleurs...

Cela, personne ne peut vous le reprocher. Quand nous avons quitte Compostelle, messire Arnaud se croyait encore lepreux. Il etait affreusement decu... desespere... Il voulait mourir, mais il ne voulait pas mourir pour rien. « Les Maures tiennent toujours le royaume de Grenade et les chevaliers de Castille sont en lutte perpetuelle avec eux

», m'a-t-il dit. « C'est la que je vais aller ! Dieu, qui m'a refuse la guerison, m'accordera bien de mourir en combattant l'Infidele ! »

Alors, nous sommes partis vers le sud. Nous avons franchi des montagnes, des terres arides, desertes... et nous sommes arrives dans une ville qui s'appelle Tolede... C'est la que tout a change !...

Il prit un temps, comme s'il cherchait a bien preciser un souvenir particulierement agreable. Son sourire ravi porta au comble l'angoisse nerveuse de Catherine.

— Tout quoi ? demanda-t-elle sechement. Allons ! Parle !

— Vous avez hate de savoir, hein ? Pourtant, je vous jure que vous ne devriez pas etre si pressee. Au fait... mais aussi j'ai hate de vous voir vaincue. Alors, ecoutez : quand nous sommes arrives dans cette ville sur la colline, nous y avons trouve le cortege d'un ambassadeur du roi de Grenade, envoye aupres du roi Jean de Castille et qui s'en revenait vers son pays...

— Mon Dieu ! Mon epoux est tombe entre les mains des Infideles

! Et tu oses te rejouir ?

— Il y a maniere et maniere de tomber entre les mains de quelqu'un, remarqua Fortunat d'un air ruse. Celle qui est advenue a messire Arnaud n'a rien de tres deplaisant...

Brusquement, le Gascon s'assit et, dardant sur Catherine un regard flamboyant, il articula avec l'accent du triomphe :

— L'ambassadeur etait une femme, dame Catherine, une princesse, la propre s?ur du roi de Grenade... et elle est plus belle que le jour !

Jamais mes yeux n'ont contemple creature plus eblouissante ! Ceux de messire Arnaud non plus, d'ailleurs !

— Que veux-tu dire ? Explique-toi ! ordonna Catherine, la bouche soudain seche.

— Vous ne comprenez pas ? Pourquoi donc messire Arnaud aurait-il refuse l'amour de la plus belle des princesses puisque sa propre femme l'avait abandonne pour un autre ? Il etait libre, j'imagine, libre d'aimer d'autant plus que la reconnaissance se melait a l'admiration.

— La reconnaissance ?

Il a fallu trois jours au medecin maure de la princesse pour guerir messire Arnaud ! Il n'avait pas la lepre, je vous l'ai dit, mais une autre maladie, tres guerissable, dont j'ai oublie le nom barbare ! Il est vrai que cela ressemblait a ce terrible fleau... Mais maintenant, messire Arnaud est gueri, heureux... et vous l'avez perdu a tout jamais !

Il y eut un silence, terrible, profond, comme si tous ces gens dont la plupart ne la connaissaient pas cherchaient a entendre battre le c?ur de Catherine... Celle-ci n'avait pas fait un geste, pas dit un mot... Elle ecoutait, elle aussi, la souffrance, la jalousie faire lentement, sournoisement, leur chemin dans son ame... Elle avait l'impression de faire un horrible cauchemar dont elle ne parvenait pas a s'eveiller...

Une image se levait au fond de son c?ur, une image intolerable : Arnaud entre les bras d'une autre femme !... Elle eut envie de crier tout a coup, de hurler pour soulager l'abominable morsure de la jalousie. Comme un animal sain qui decouvre la maladie, elle etait desarmee devant cette souffrance nouvelle. Elle fut tentee de fermer les yeux, mais l'orgueil la retint. Dardant sur le Gascon un regard fulgurant, elle gronda :

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