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Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта - Страница 12


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— Espece de brute ! tu ne vivras pas assez pour tuer encore d'autres vieillards...

Comme le dard d'une guepe, sa dague frappait et frappait encore, au hasard, l'homme qui braillait comme un cochon egorge sans parvenir a se defendre efficacement. La fureur decuplait chez la jeune femme une irresistible force nerveuse. Mais les autres hommes d'armes s'etaient ressaisis et tombaient maintenant sur elle comme un essaim de mouches.

— A l'Ecossais ! hurla l'un d'eux. Tue, tue !

Ce fut ce cri qui sauva Catherine car, sur l'autre rive, un autre lui repondit :

— En avant, par Saint-Andre !

Les orpailleurs eurent tout juste le temps de se garer. Foncant a travers l'eau ecumante, une troupe de cavaliers fondit sur les gardes, l'epee haute. Catherine, qu'une douzaine de mains avaient deja saisie, se trouva libre tout a coup et se releva. Ses mains etaient pleines de sang et, sous elle, l'homme qu'elle avait attaque ne respirait plus. Inerte, les yeux grands ouverts en face du ciel bas, il demeura etendu sur la neige tachee de boue et, de sang. Catherine comprit qu'elle l'avait tue, mais chose etrange, n'en eprouva ni repulsion ni remords. L'indignation bouillonnait encore en elle. Froidement, elle alla tremper sa dague dans la Jordanne et la remit a sa ceinture, puis jeta un regard autour d'elle. Le combat se poursuivait, entre les gardes d'Aurillac et le secours inattendu qui lui etait venu, mais il tirait a sa fin. Elle reconnut Gauthier dans la melee, combattant aupres d'un grand Ecossais blond. Autour d'eux une dizaine de soldats des Hautes Terres s'escrimaient vigoureusement : Mac Laren et ses hommes ! La joie dilata le c?ur de la jeune femme.

— Dieu soit loue ! Il les a retrouves !

Longeant le bord de la riviere ou les orpailleurs, stupefaits et terrifies, regardaient, dans l'eau jusqu'a mi- cuisses, elle rejoignit Frere Etienne et Sara qui s'etaient gares de leur mieux pres d'un mur en ruine. Sara bondit sur la jeune femme comme une tigresse qui retrouve son petit, l'embrassa a l'etouffer sans cesser de sangloter, puis, de toute sa force, lui appliqua une gifle retentissante.

— Espece de folle ! Tu veux donc me faire mourir de chagrin.

Sous le coup, Catherine chancela et porta la main a sa joue. Elle etait brulante mais deja Sara se jetait a ses pieds en demandant pardon, versant des torrents de larmes qui donnaient la juste mesure de sa peur passee. Catherine la releva et la tint serree contre elle, caressant d'une main la tete de la pauvre femme. Mais son regard croisa fierement celui de Frere Etienne.

— J'ai tue un homme, mon Pere... et je ne le regrette pas !

— Qui donc le regretterait ? soupira le moine. Je dirai ma prochaine messe pour l'ame de ce mecreant, si toutefois une messe peut quelque chose pour un esprit si noir ! Quant a vous, je vous donne l'absolution.

La bataille tirait a sa fin. Les gardes de la riviere gisaient maintenant tous sur la neige, blesses ou morts, et Mac Laren rassemblait ses hommes. Gauthier sauta de cheval et vint vers Catherine, les yeux brillant de joie.

— Vous n'avez rien, dame Catherine ? Par Odin, j'ai cru que je revais quand j'ai apercu un petit Ecossais blond qui sautait a la gorge de cette grande brute noire. Mais vous etes vivante, bien vivante !

Dans sa joie, il l'avait prise aux epaules et la secouait sans trop se soucier de ses forces, luttant contre l'envie terrible qui lui venait de l'ecraser contre lui et de l'embrasser. Mais, soudain, entre ses mains, Catherine se fit molle. Une sensation de brulure a l'epaule etait la seule chose qu'elle sentit encore de tout son corps devenu etrangement inconsistant. Sa tete se mit a tourner tandis qu'un voile noir obscurcissait le jour. Les oreilles bourdonnantes, elle entendit encore une voix qui grondait.

— Espece d'idiot, regarde le sang sous ta main gauche ! Tu vois bien qu'elle est blessee !

Catherine sentit qu'on la lachait brusquement puis ne sentit plus rien du tout. Dans l'ardeur de la bataille, tout a l'heure, elle ne s'etait meme pas apercue qu'une lame s'enfoncait dans son epaule ! Ce bienheureux

evanouissement

lui

epargna

une

angoisse

supplementaire. Tandis que Gauthier l'enlevait dans ses bras et la deposait sur le cou de son cheval, Mac Laren se haussait sur ses etriers.

— Il vaut mieux ne pas s'attarder ici, dit-il. J'apercois une troupe nombreuse qui sort de l'abbaye. Dans un moment nous aurons sur le dos tous les soldats de l'abbe. Filons !

— Mais elle a besoin de soins, s'ecria Sara.

— On les lui donnera plus tard. Pour le moment, il faut gagner le large. Montez en croupe de deux de mes hommes, vous la servante et vous le moine. En avant !

Deux robustes Ecossais se chargerent de Sara et de Frere Etienne, puis, au grand galop, poursuivie par les imprecations des hommes d'armes qui accouraient, trainant arcs et arbaletes, la troupe de Ian Mac Laren s'eloigna d'Aurillac. Quelques fleches et quelques carreaux vinrent siffler autour d'eux, mais sans atteindre personne. Le rire du lieutenant de Kennedy eclata comme un coup de tonnerre.

— Des soldats de moines, ca ne vaut pas plus que des nonnes casquees ! Ils savent mieux egrener les patenotres et trousser les filles que bander un arc !

La blessure de Catherine n'etait pas grave. Une lame mince avait penetre d'un pouce dans son epaule. Elle avait saigne assez abondamment, mais ce n'etait pas tres douloureux. Son epaule et son bras etaient engourdis, pesaient comme plomb, mais elle avait tres rapidement repris conscience, au vent de la course. Des que Mac Laren avait juge qu'ils etaient assez eloignes, il avait ordonne une halte. Tandis que ses hommes buvaient un coup et mangeaient un morceau, Sara avait emmene la jeune femme a l'ecart pour la soigner.

Ses mains habiles avaient eu tot fait de confectionner un pansement avec une chemise dechiree prise dans le ballot de vetements et quelques parcelles d'un baume a base de graisse de mouton et de genievre que possedait l'un des Ecossais. Puis elles avaient, elles aussi, mange un peu de pain et de fromage, bu quelques gorgees de vin avant que Mac Laren donnat le signal du depart. Catherine se sentait lasse. La fatigue de leur marche nocturne entre Vezac et Aurillac, jointe au choc du recent combat, l'avait epuisee. Un sommeil invincible s'emparait d'elle et elle avait une peine infinie a garder les yeux ouverts.

Cette fois, elle monta en croupe derriere le chef d'escorte. Malgre les protestations furieuses de Gauthier, Ian Mac Laren avait decide de s'en charger lui- meme.

— Ton cheval a deja bien assez de ton poids, lui declara-t-il sechement. Il n'a aucun besoin de surcharge !

— Elle ne tiendra pas derriere vous, retorqua le Normand. Ne voyez-vous pas qu'elle tombe de sommeil ?

— Je l'attacherai. Au surplus, c'est moi qui commande ici !

Force avait ete a Gauthier de s'incliner, mais Catherine avait intercepte au passage le regard charge de colere qu'il adressa au jeune Ecossais et dont celui-ci, d'ailleurs, ne sembla nullement se soucier. Mac Laren appartenait vraisemblablement a cette categorie d'individus qui n'hesitent jamais sur le chemin a suivre, s'y engagent avec resolution et ne reviennent jamais en arriere, quelles que puissent etre les consequences. Ayant solidement arrime Catherine a lui au moyen d'une sangle, il prit la tete de la colonne. Les Ecossais et les quatre fugitifs s'enfoncerent au c?ur de l'epais et redoutable Massif Central.

Appuyee contre le dos de Mac Laren, Catherine se laissait aller au pas du cheval. La montagne deserte, les volcans eteints chevelus de forets, etoiles de profondes vallees rocheuses, les envelopperent bientot de leur silence que l'hiver rendait plus profond. Les rares hameaux, les burons isoles que l'on apercevait demeuraient clos, hermetiquement, sur la chaleur melee des hommes et des betes. Seuls, les minces panaches de fumee grise qui tracaient sur la neige leurs fugitives arabesques denoncaient la vie. Dans les maisonnettes de lave noire, les paysans s'entassaient aupres de leurs petites vaches rousses et frisees qui, l'ete venu, mettraient dans l'epaisse laine verte des prairies la tache ardente de leur pelage... Catherine pensa que ce rude pays etait beau, meme sous la neige qui en accentuait les lignes dures.

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