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Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта - Страница 9


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Avant de quitter cette chambre ou elle avait connu ses dernieres heures de bonheur et un si douloureux calvaire, Catherine l'enveloppa d'un ultime regard. Les murs austeres lui semblaient garder le reflet du sourire d'Arnaud, l'echo du rire de Michel. Elle decouvrait qu'ils lui etaient devenus chers et elle sentit sa gorge se serrer. Mais elle refusa de laisser l'emotion s'emparer d'elle. En ce moment, il lui fallait tout son courage et tout son sang-froid. Resolument, elle tourna le dos a ce decor familier, appuya sa main sur la dague qu'elle avait passee a sa ceinture. C'etait la dague a l'epervier ; celle avec laquelle Arnaud avait tue Marie de Comborn et pour Catherine l'objet le plus precieux qu'elle possedat. Aupres de ces quelques pouces d'acier bleu tant de fois rechauffes par la main de son epoux, le diamant noir lui-meme n'etait qu'un caillou sans valeur et elle eut, sans hesiter, sacrifie l'un a l'autre.

Dans la cour, elle trouva Kennedy qui l'attendait, une lanterne sourde a la main. Gauthier et Frere Etienne se tenaient aupres de lui.

Sans un mot, le Normand dechargea Sara du ballot de vetements qu'elle portait, puis la petite troupe se mit en route. L'un derriere l'autre, on se dirigea vers l'enceinte. Le froid avait augmente dans la nuit et mordait cruellement. De temps en temps, une rafale de vent soufflait, soulevant des tourbillons blancs qui obligeaient a n'avancer que courbes tant que l'on fut au centre de la vaste cour. Mais, a mesure que l'on approchait des murailles, les tourbillons d'air, freines, perdaient de leur brutalite. De temps en temps, le mugissement d'une bete ou le cri d'un marmot percait le silence, ou encore le ronflement d'un des refugies qui dormaient a meme le sol, roules dans des couvertures pres des feux que nul n'avait besoin d'attiser.

Malgre l'epaisseur du manteau de cheval, Catherine grelottait quand on atteignit la tour indiquee par Cabriac. Celui-ci les attendait a l'interieur, battant la semelle et se frappant les flancs pour lutter contre le froid. Sous ces voutes basses ou l'eau suintante gelait en plaques noires et luisantes, c'etait une chape de glace qui tombait sur les epaules.

— Il faut faire vite, dit Cabriac. La lune va bientot se lever et vous serez visibles comme en plein jour sur cette neige. Le Castillan doit avoir des guetteurs partout.

— Mais, objecta Catherine, comment passerons- nous la palissade qui double le rocher ?

— Cela me regarde, fit Gauthier. Venez, dame Catherine. Messire le senechal a raison. Nous n'avons que trop perdu de temps.

Il prenait deja son bras pour l'entrainer vers le trou noir de l'escalier que Cabriac, en soulevant une trappe cachee sous de la paille pourrie, venait de decouvrir. Mais Catherine resista et, se tournant vers Kennedy, elle lui tendit la main, spontanement.

— Grand merci pour tout, messire Hugh. Merci pour votre amitie, pour la protection que vous m'avez donnee. Je n'oublierai jamais les jours vecus ici. Grace a vous... ils ont perdu un peu de leur cruaute. Et j'espere vous revoir bientot, chez la reine Yolande.

Dans la lumiere incertaine de la lanterne, elle vit s'eclairer le large visage de l'Ecossais, briller ses dents blanches.

— Si cela ne depend que de moi, Dame Catherine, ce sera dans peu de temps. Mais nul ne sait ce que sera son lendemain, de nos jours.

Aussi, comme il se peut que jamais, en ce monde, je ne vous revoie...

Laissant sa phrase en suspens, il empoigna la jeune femme aux epaules, la serra contre lui, l'embrassa avidement avant que, le souffle coupe, elle ait pu se defendre, la lacha aussi brusquement puis se mit a rire avec la gaiete d'un enfant qui vient de reussir une bonne plaisanterie et acheva la phrase commencee.

— ... du moins mourrais-je sans regret ! Pardonnez- moi, Catherine, cela ne se reproduira plus... mais j'en avais tellement envie

!

C'etait si franchement avoue que Catherine se contenta de sourire.

Elle etait sensible, peut-etre plus qu'elle l'aurait voulu, a la chaleur de cette rude tendresse, mais Gauthier avait pali. De nouveau, sa main s'abattit sur le bras de la jeune femme.

— Venez, dame Catherine ! dit-il rudement.

Il levait la lanterne, s'engageait deja dans l'escalier etroit. Cette fois, Catherine le suivit. Sara vint apres et Frere Etienne ferma la marche.

En s'enfoncant dans les entrailles du rocher, la jeune femme l'entendit faire ses adieux a l'Ecossais et lui recommander de ne point trop s'attarder en Auvergne en ajoutant :

— Le temps des combats va reprendre. Le connetable aura besoin de vous bientot.

— Soyez tranquille ! Je ne le ferai pas attendre !

Puis Catherine n'entendit plus rien. Les marches hautes, inegales, faites de grosses pierres a peine taillees, plongeaient presque a pic entre deux murailles rocheuses crevassees par le temps, et la jeune femme devait apporter un soin extreme a chacun de ses pas pour ne pas risquer de tomber. C'etait d'autant plus dangereux que le gel, la aussi, avait apporte ses mefaits et que chaque marche etait dangereusement glissante. Quand enfin on atteignit le taillis broussailleux qui masquait la fissure ou debouchait l'escalier, Catherine poussa un soupir de soulagement. Grace a Gauthier qui ecartait pour elle les epines, elle parvint a franchir sans trop de dommage ce leger obstacle, mais ce fut pour s'apercevoir que le haut mur de rondins aiguises qui composaient la palissade se dressait presque contre le rocher. Cela formait un boyau etroit et profond.

De l'?il, Catherine mesura la terrifiante muraille de bois.

— Comment pourrons-nous franchir ca ? Autant remonter tout de suite. Les pieux sont trop aigus pour les passer avec une echelle de corde.

— Bien sur, fit Gauthier paisible. C'est fait expres pour cela.

Partant du buisson ou debouchait l'escalier, il se mit a compter les pieux en allant vers la droite. Au septieme, il s'arreta. Catherine, etonnee, put le voir empoigner l'enorme tronc d'arbre et peu a peu, au prix d'un effort qui fit saillir les veines de son front, degager toute la partie inferieure du pieu, tranche en son milieu mais dispose avec assez d'art pour ne pas se distinguer des autres. Par l'etroite porte ainsi ouverte, la pente accentuee qui devalait jusqu'au ruisseau apparut et aussi les deux ou trois maisonnettes du hameau de Cabanes, sur le coteau d'en face. Juste a cet instant, la lune se montra entre deux epais nuages et plongea jusqu'a la terre un faisceau blafard. L'etendue neigeuse en fut illuminee. Les troncs des arbres et jusqu'aux buissons poudres a frimas devinrent visibles comme en plein jour. Tapis derriere la palissade, les fugitifs contemplerent avec desespoir la pente immaculee qui s'etendait devant eux.

— Nous allons etre visibles comme des taches d'encre sur une page blanche, murmura Frere Etienne. Il suffira qu'une des sentinelles tourne la tete de ce cote pour nous reperer et donner l'alarme.

Personne ne repondit. Le moine avait traduit clairement ce que chacun pensait, mais l'enervement gagnait Catherine.

— Que faire ? Notre seule chance est de fuir cette nuit, tant que l'investissement n'est pas encore complet. Mais si nous sommes vus, nous sommes pris.

Comme pour lui donner raison, un bruit de voix se fit entendre, assez proche pour que l'imminence du danger en parut accrue.

Gauthier passa une tete prudente par l'ouverture, la rentra presque aussitot.

— Le premier poste n'est qu'a quelques toises. Une dizaine d'hommes... mais que cela ne nous avancerait pas de mettre hors de combat, fit-il avec une nuance de regret. Le mieux est d'attendre.

— Quoi ? fit Catherine nerveusement. Le lever du jour?

— Que la lune se cache. Grace au ciel, le jour se leve tard en hiver.

Force fut de demeurer la, dans le froid et la neige. Les quatre compagnons, le cou tendu, l'?il fixe sur le globe livide de la lune, retenaient meme leur respiration. C'etait comme un fait expres : d'epais nuages couraient d'un bout a l'autre de l'horizon, mais aucun ne parvenait a engloutir l'astre denonciateur. Les pieds et les mains de Catherine etaient glaces. La vie confinee qu'elle avait menee tous ces derniers mois l'avait rendue plus vulnerable et elle souffrait plus que les autres de demeurer ainsi immobile dans ce couloir glacial. De temps en temps, Sara, d'une poigne vigoureuse, lui frictionnait le dos, mais le bien-etre qu'elle en ressentait n'etait que passager d'autant plus que les nerfs s'en melaient.

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