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Le pere Goriot - де Бальзак Оноре - Страница 21


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L’on parle d’une dame et l’on se tait du reste.

» Avec nous s’entend ! Dis donc, Eugene, si tu voulais, nous pourrions nous passer de mouchoirs, et nous te ferions des chemises. Reponds-moi vite a ce sujet. S’il te fallait promptement de belles chemises bien cousues, nous serions obligees de nous y mettre tout de suite ; et s’il y avait a Paris des facons que nous ne connussions pas, tu nous enverrais un modele, surtout pour les poignets. Adieu, adieu ! je t’embrasse au front du cote gauche, sur la tempe qui m’appartient exclusivement. Je laisse l’autre feuillet pour Agathe, qui m’a promis de ne rien lire de ce que je te dis. Mais, pour en etre plus sure, je resterai pres d’elle pendant qu’elle t’ecrira. Ta s?ur qui t’aime.

» LAURE DE RASTIGNAC. »

— Oh ! oui, se dit Eugene, oui, la fortune a tout prix ! Des tresors ne payeraient pas ce devouement. Je voudrais leur apporter tous les bonheurs ensemble. Quinze cent cinquante francs ! se dit-il apres une pause. Il faut que chaque piece porte coup ! Laure a raison. Nom d’une femme ! je n’ai que des chemises de grosse toile. Pour le bonheur d’un autre, une jeune fille devient rusee autant qu’un voleur. Innocente pour elle et prevoyante pour moi, elle est comme l’ange du ciel qui pardonne les fautes de la terre sans les comprendre.

Le monde etait a lui ! Deja son tailleur avait ete convoque, sonde, conquis. En voyant monsieur de Trailles, Rastignac avait compris l’influence qu’exercent les tailleurs sur la vie des jeunes gens. Helas ! il n’existe pas de moyenne entre ces deux termes : un tailleur est ou un ennemi mortel, ou un ami donne par la facture. Eugene rencontra dans le sien un homme qui avait compris la paternite de son commerce, et qui se considerait comme un trait d’union entre le present et l’avenir des jeunes gens. Aussi Rastignac reconnaissant a-t-il fait la fortune de cet homme par un de ces mots auxquels il excella plus tard. — Je lui connais, disait-il, deux pantalons qui ont fait faire des mariages de vingt mille livres de rente.

Quinze cents francs et des habits a discretion ! En ce moment le pauvre Meridional ne douta plus de rien, et descendit au dejeuner avec cet air indefinissable que donne a un jeune homme la possession d’une somme quelconque. A l’instant ou l’argent se glisse dans la poche d’un etudiant, il se dresse en lui-meme une colonne fantastique sur laquelle il s’appuie. Il marche mieux qu’auparavant, il se sent un point d’appui pour son levier, il a le regard plein, direct, il a les mouvements agiles ; la veille, humble et timide, il aurait recu des coups ; le lendemain, il en donnerait a un premier ministre. Il se passe en lui des phenomenes inouis : il veut tout et peut tout, il desire a tort et a travers, il est gai, genereux, expansif. Enfin, l’oiseau naguere sans ailes a retrouve son envergure. L’etudiant sans argent happe un brin de plaisir comme un chien qui derobe un os a travers mille perils, il le casse, en suce la moelle, et court encore ; mais le jeune homme qui fait mouvoir dans son gousset quelques fugitives pieces d’or deguste ses jouissances, il les detaille, il s’y complait, il se balance dans le ciel, il ne sait plus ce que signifie le mot misere. Paris lui appartient tout entier. Age ou tout est luisant, ou tout scintille et flambe ! age de force joyeuse dont personne ne profite, ni l’homme, ni la femme ! age des dettes et des vives craintes qui decuplent tous les plaisirs ! Qui n’a pas pratique la rive gauche de la Seine, entre la rue Saint-Jacques et la rue des Saints-Peres, ne connait rien a la vie humaine ! — « Ah ! si les femmes de Paris savaient ! se disait Rastignac en devorant les poires cuites, a un liard la piece, servies par madame Vauquer, elles viendraient se faire aimer ici. » En ce moment un facteur des Messageries royales se presenta dans la salle a manger, apres avoir fait sonner la porte a claire-voie. Il demanda monsieur Eugene de Rastignac, auquel il tendit deux sacs a prendre, et un registre a emarger. Rastignac fut alors sangle comme d’un coup de fouet par le regard profond que lui lanca Vautrin.

— Vous aurez de quoi payer des lecons d’armes et des seances au tir, lui dit cet homme.

— Les galions sont arrives, lui dit madame Vauquer en regardant les sacs.

Mademoiselle Michonneau craignait de jeter les yeux sur l’argent, de peur de montrer sa convoitise.

— Vous avez une bonne mere, dit madame Couture.

— Monsieur a une bonne mere, repeta Poiret.

— Oui, la maman s’est saignee, dit Vautrin. Vous pourrez maintenant faire vos farces, aller dans le monde, y pecher des dots, et danser avec des comtesses qui ont des fleurs de pecher sur la tete. Mais croyez-moi, jeune homme, frequentez le tir.

Vautrin fit le geste d’un homme qui vise son adversaire. Rastignac voulut donner pour boire au facteur, et ne trouva rien dans sa poche. Vautrin fouilla dans la sienne, et jeta vingt sous a l’homme.

— Vous avez bon credit, reprit-il en regardant l’etudiant.

Rastignac fut force de le remercier, quoique depuis les mots aigrement echanges, le jour ou il etait revenu de chez madame de Beauseant, cet homme lui fut insupportable. Pendant ces huit jours Eugene et Vautrin etaient restes silencieusement en presence, et s’observaient l’un l’autre. L’etudiant se demandait vainement pourquoi. Sans doute les idees se projettent en raison directe de la force avec laquelle elles se concoivent, et vont frapper la ou le cerveau les envoie, par une loi mathematique comparable a celle qui dirige les bombes au sortir du mortier. Divers en sont les effets. S’il est des natures tendres ou les idees se logent et qu’elles ravagent, il est aussi des natures vigoureusement munies, des cranes a remparts d’airain sur lesquels les volontes des autres s’aplatissent et tombent comme les balles devant une muraille ; puis il est encore des natures flasques et cotonneuses ou les idees d’autrui viennent mourir comme des boulets s’amortissent dans la terre molle des redoutes. Rastignac avait une de ces tetes pleines de poudre qui sautent au moindre choc. Il etait trop vivacement jeune pour ne pas etre accessible a cette projection des idees, a cette contagion des sentiments dont tant de bizarres phenomenes nous frappent a notre insu. Sa vue morale avait la portee lucide de ses yeux de lynx. Chacun de ses doubles sens avait cette longueur mysterieuse, cette flexibilite d’aller et de retour qui nous emerveille chez les gens superieurs, bretteurs habiles a saisir le defaut de toutes les cuirasses. Depuis un mois il s’etait d’ailleurs developpe chez Eugene autant de qualites que de defauts. Ses defauts, le monde et l’accomplissement de ses croissants desirs les lui avaient demandes. Parmi ses qualites se trouvait cette vivacite meridionale qui fait marcher droit a la difficulte pour la resoudre, et qui ne permet pas a un homme d’outre-Loire de rester dans une incertitude quelconque ; qualite que les gens du Nord nomment un defaut : pour eux, si ce fut l’origine de la fortune de Murat, ce fut aussi la cause de sa mort. Il faudrait conclure de la que quand un Meridional sait unir la fourberie du Nord a l’audace d’outre-Loire, il est complet et reste roi de Suede. Rastignac ne pouvait donc pas demeurer long-temps sous le feu des batteries de Vautrin sans savoir si cet homme etait son ami ou son ennemi. De moment en moment, il lui semblait que ce singulier personnage penetrait ses passions et lisait dans son c?ur, tandis que chez lui tout etait si bien clos qu’il semblait avoir la profondeur immobile d’un sphinx qui sait, voit tout, et ne dit rien. En se sentant le gousset plein, Eugene se mutina.

— Faites-moi le plaisir d’attendre, dit-il a Vautrin qui se levait pour sortir apres avoir savoure les dernieres gorgees de son cafe.

— Pourquoi ? repondit le quadragenaire en mettant son chapeau a larges bords et prenant une canne en fer avec laquelle il faisait souvent des moulinets en homme qui n’aurait pas craint d’etre assailli par quatre voleurs.

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