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Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта - Страница 23


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— Il faut bien s'arreter quelque part ! Allons !

Silencieusement, les deux cavaliers reprirent leur chemin, descendirent la faible pente du coteau, atteignirent le pont au bout duquel s'ouvrait, entre deux tours rondes crenelees, la porte Santa Maria. C'etait jour de marche. Aussi le pont etait-il encombre ; paysans au teint de brique mange de barbe noire, aux pommettes fortes, au front bas, vetus de peaux de chevre ou de mouton, femmes aux robes de laines rouges ou grises portant souvent, sur leurs tetes enveloppees d'un chale, des jarres de terre ou des paniers d'osier, mendiants depenailles, gamins aux pieds nus et aux yeux de flamme, melanges a toute la cavalerie des chemins d'Espagne : anes, mulets, chariots mal equarris, au milieu desquels se detachait parfois, contraint de marcher du meme pas, le noble coursier de quelque hidalgo.

Catherine et son compagnon s'engagerent bravement dans la cohue et mirent leurs chevaux au pas. Le va-et- vient pittoresque de cette foule braillarde et coloree n'arracha meme pas un regard a Catherine, pas plus que les femmes agenouillees au bord du fleuve, qui lavaient, a grands cris et grandes eclaboussures, la laine des moutons du haut plateau dans l'eau jaune de l'Arlanzon... Depuis sa fuite, en pleine nuit, du Moustier de Roncevaux, la jeune femme n'avait paru s'interesser a la route suivie qu'en fonction du nombre de lieues qui la separaient encore de Grenade. Elle eut souhaite que son cheval eut des ailes, qu'il fut, ainsi qu'elle-meme, bati d'acier pour ne jamais etre oblige de s'arreter. Mais il lui fallait compter avec les jambes de sa monture, avec la lassitude de son corps de femme, bien que chaque heure ecoulee fut pour elle une etape de calvaire.

La jalousie eveillee en elle par le recit de Fortunat, par la trahison d'Arnaud, ne lui laissait ni treve ni repos. Sous sa brulure Catherine passait par des alternatives de fureur et de desespoir qui doublaient la fatigue de la route et l'extenuaient. La nuit meme, durant les quelques heures qu'elle etait bien obligee de consacrer au repos, il lui arrivait de s'eveiller en sursaut, trempee de sueur, croyant entendre l'echo des mots d'amour echanges loin d'elle. Elle se levait alors, cherchait l'air pur et marchait jusqu'a ce que la violence de son sang se fut apaisee.

Au matin, les yeux secs et la bouche serree, elle repartait droit devant elle, sans jamais se retourner...

Pas une seule fois elle ne s'etait inquietee de ceux qu'elle avait laisses derriere elle, ou d'une eventuelle poursuite. Que lui importaient Jean Van Eyck, le duc Philippe de Bourgogne ou meme cette maladroite et brave Ermengarde de Chateauvillain ? Son univers se limitait desormais aux sept lettres qui formaient le nom de Grenade et Josse Rallard, l'etrange ecuyer qu'elle s'etait donne, calquait son attitude sur celle de sa maitresse. Il lui avait promis de la mener au royaume des sultans maures, il tenait parole sans chercher a briser la carapace de silence dont Catherine s'entourait.

Franchie la porte Santa Maria, les deux voyageurs se trouverent sur une place pavee de gros galets ronds et bordee, sur trois cotes, de maisons a arcades, le quatrieme etant occupe par la cathedrale ellememe... La aussi il y avait du monde, surtout autour des eventaires des paysans qui, assis a meme le sol, vendaient les quelques produits de leurs terres. Une theorie de moines, chantant a pleine voix un cantique, penetrait dans la cathedrale a la suite d'une banniere et, de-ci de-la, par groupes de deux ou trois, des soldats ou des alguazils erraient dans la foule.

— Il y a, plus loin, un hospice de pelerins dedie a Santo Lesmes, fit Josse en se tournant vers Catherine. Voulez-vous y aller ?

— Je n'appartiens plus au pelerinage, repondit Catherine sechement. Et je vois la une auberge... Allons-y.

En effet, a quelques pas des voyageurs, l'auberge des Trois Rois, directement adossee a la muraille de la ville, ouvrait sa porte basse sous une arcade de bois noir. Catherine mit pied a terre et se dirigea resolument vers elle, aussitot suivie par Josse qui avait reuni dans sa main les brides des deux chevaux.

Ils allaient penetrer dans l'auberge quand, tout a coup, la foule, jusque-la bruyante mais relativement paisible,

devint houleuse et reflua d'un meme mouvement vers la porte de la ville en poussant d'affreux hurlements. Ce fut une explosion si violente et si sauvage a la fois qu'elle perca le brouillard d'indifference dont s'enveloppait Catherine.

— Que font-ils donc ? demanda-t-elle.

— Je ne sais pas ! J'ai cru comprendre qu'ils allaient au-devant de quelque chose, quelque chose qu'ils attendaient... Peut-etre le Roi qui regagne son chateau...

— Si ce n'est que cela... soupira Catherine, que les fastes, meme royaux, interessaient moins encore que tout le reste.

Pourtant, elle ne penetra pas dans l'auberge. Mieux, elle revint lentement vers la porte Santa Maria d'ou venait de surgir un etrange cortege devant lequel la foule maintenant refluait.

Cahotant sur les paves inegaux, un grossier chariot paysan s'avancait peniblement au milieu d'un groupe de cavaliers, lance au poing. Sur ce chariot, il y avait une cage faite de grosses lattes de bois armees de solides pentures de fer. Et, dans cette cage, il y avait un homme enchaine.

On ne voyait de lui qu'une masse a peu pres informe. L'exiguite de la cage ne lui permettait pas de se tenir debout. Il etait assis, la tete cachee dans ses bras poses sur ses genoux, sans doute pour donner moins de prise aux projectiles de toutes sortes que lui lancait la populace avec des cris de mort. Trognons de chou, crottin de cheval et surtout pierres pleuvaient sans arret sur la cage, mais la masse humaine, car l'homme devait etre d'une belle taille, ne bronchait pas.

11 avait l'air fait de terre rouge, tant il etait sale et l'on ne pouvait distinguer ni la couleur reelle de ses cheveux, ni celle de sa peau. Des haillons gris de crasse le couvraient, mais, sur sa tete, on pouvait voir la tache sinistre d'une blessure encore fraiche.

La foule hurlait de plus en plus fort et les gardes durent faire usage de leurs lances pour la repousser car, sans cela, elle eut pris la cage d'assaut. Fascinee, Catherine regardait cette scene de violence sans parvenir a en detacher son regard. La pitie se levait en elle pour ce malheureux en si piteux etat sur lequel s'acharnait la plebe.

— Mon Dieu ! murmura-t-elle, pensant tout haut, qu'a donc fait ce malheureux ?

— Ne perdez pas votre pitie, mon jeune seigneur, remarqua, pres d'elle, une voix lente pourvue d'un fort accent tudesque. Il s'agit seulement de l'un de ces maudits brigands qui infestent les monts d'Oca, a l'est de cette ville... Ce sont des loups sanguinaires qui volent, pillent, brulent et font mourir dans d'affreux supplices leurs prisonniers quand ils ne peuvent payer.

Surprise, Catherine se tourna vers celui qui venait de parler. C'etait un homme d'une quarantaine d'annees, dont le visage ouvert et energique a la fois s'ornait d'une soyeuse barbe blonde et d'une paire d'yeux d'un bleu candide. Mais la stature etait vigoureuse, elevee.

L'on devinait des muscles solides sous la tunique de grosse laine brune, couverte de cette fine poussiere blanche qui annonce les travailleurs de la pierre.

Le sourire franc qu'il lui offrait plut a Catherine.

— Comment se fait-il que vous parliez notre langue ? demanda-t-elle.

— Je la parle assez mal, excusez-moi, fit l'homme en riant, mais je la comprends fort bien. Je m'appelle Hans de Cologne et je suis le maitre d'?uvre de la cathedrale, ajouta-t-il en designant les echafaudages couronnant l'edifice.

— De Cologne ? s'etonna la jeune femme. Qu'est-ce qui vous a conduit si loin de votre pays ?

— L'archeveque Alonso de Carthagene que j'ai rencontre a Bale durant le Concile, voici trois ans. Mais, vous-meme, n'etes pas d'ici...

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