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Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта - Страница 24


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Une legere rougeur couvrit les joues de Catherine. Elle n'avait pas prevu qu'on lui poserait cette question a brule-pourpoint et n'avait pas prepare sa reponse.

Je... je m'appelle Michel de Montsalvy, fit-elle precipitamment pour demeurer d'accord avec son costume masculin. Je voyage en compagnie de mon ecuyer pour voir du pays !

— On dit que les voyages forment la jeunesse ! Cela prouve que vous n'avez pas froid aux yeux, ou que vous etes bien-innocent car cette contree n'a rien d'agreable. La nature y est rude, les gens a demi sauvages...

Il s'interrompit. La foule, tout a coup, s'etait tue et le silence etait si profond que l'on pouvait entendre les gemissements sourds pousses par l'homme enchaine.

Une troupe d'alguazils s'avancaient a la suite d'un homme a la mine severe et tout vetu de noir qui chevauchait un vigoureux andalou. A la lumiere mouvante des torches qui l'entouraient, les traits secs de l'arrivant prenaient un relief d'une implacable durete. Lentement, au milieu du silence respectueux de la foule, il avanca vers la cage.

— C'est l'Alcade Criminel, don Martin Gomez Calvo ! souffla Hans avec, dans la voix, une sorte de respect angoisse. Un homme terrible ! Sous une apparence pleine de morgue, il cache une sauvagerie pire encore que celle des bandits d'Oca.

La foule, en effet, s'ouvrait devant lui avec une hate qui traduisait la crainte. Les alguazils de sa suite n'avaient aucun besoin de faire usage de leurs armes, le peuple semblait desireux de mettre autant de distance que faire se pouvait entre elle et le dangereux personnage.

Au pas de son cheval, don Martin fit le tour de la cage, puis, tirant son epee, il en piqua, de la pointe, le prisonnier. L'homme enchaine releva la tete, montrant un visage envahi de barbe malpropre, ou la peau et les longs poils se confondaient. Sans trop savoir pourquoi, Catherine frissonna et, attiree comme par un aimant, elle s'avanca de quelques pas.

Dans le silence, on entendit alors le prisonnier qui se plaignait.

— J'ai soif ! balbutia-t-il en francais... Soif !

Il avait crie le dernier mot et ce cri couvrit celui qui, avec une irresistible force, s'echappa de la gorge de Catherine.

— Gauthier !

Elle avait reconnu instantanement la voix de son ami perdu et, maintenant, l'epaisse toison ne parvenait plus a lui masquer les traits qu'elle devinait. Une joie folle eclata en elle, lui faisant meme oublier la tragique condition de l'homme enchaine. Elle voulut s'elancer vers lui, mais la lourde patte de Hans s'abattit sur son epaule, la clouant sur place.

— Tenez-vous tranquille, par pitie ! Etes-vous fou ?

— Ce n'est pas un bandit ! C'est mon ami... Laissez-moi tranquille

! — Dame Catherine ! Je vous en supplie ! intervint Josse en s'emparant de son autre epaule.

Hans sursauta :

— Dame Catherine ?

— Oui, s'ecria Catherine furieuse, je suis une femme... la comtesse de Montsalvy ! Mais qu'est-ce que ca peut bien vous faire ?

— Cela fait beaucoup ! Et meme cela change tout !

Et, sans autre forme de proces, le maitre d'?uvre

empoigna Catherine comme un simple paquet, la mit sous son bras et appliquant sa large main sur la bouche de la jeune femme pour l'empecher de crier, la transporta ainsi jusqu'a une maison basse situee derriere le cloitre de la cathedrale et dont il poussa la porte d'un coup de pied.

— Suivez-nous avec les chevaux ! avait-il lance a Josse en se jetant dans la foule.

Celle-ci ne fit aucune attention a eux. Tous les regards etaient rives a l'Alcade et au prisonnier. En traversant la place, Catherine entendit le haut fonctionnaire lancer des ordres d'une voix dedaigneuse qu'elle ne comprit pas. Elle eut seulement conscience du murmure de satisfaction que poussa le peuple et du soupir, presque voluptueux, qui s'echappa de toutes les poitrines... Les populaces de tous les pays se ressemblent et Catherine devina que l'Alcade avait du leur promettre quelque spectacle de choix en donnant ses ordres.

— Qu'a-t-il dit ? voulut-elle crier, mais la main de Hans l'etouffait.

Il ne la lachait pas. Une fois entre dans le large couloir sombre, l'Allemand se tourna vers Josse qui entrait a son tour :

— Fermez la porte ! ordonna-t-il. Et venez !

Le couloir ouvrait sur une cour interieure ou s'empilaient des blocs de pierre et, sous une galerie couverte, on apercevait quelques statues de saints seulement ebauchees. Un pot a feu pendu a un pilier de bois eclairait chichement, laissant couler une trainee de lumiere jusqu'a la margelle usee d'un antique puits romain qui beait au milieu de la cour.

Une fois la, Hans indiqua a Josse un autre pilier ou attacher les chevaux, puis, lachant enfin Catherine, la remit sur ses pieds sans trop de douceur.

— La ! fit-il avec satisfaction. Vous pouvez crier autant que vous voudrez !

A demi suffoquee, rouge de fureur, elle voulut lui sauter au visage comme un chat en colere, mais il attrapa ses poignets au vol et l'immobilisa sans brutalite.

— Je vous ordonne de me laisser aller ! cria-t-elle. Pour qui vous prenez-vous ? Qui vous a permis de me traiter de la sorte ?

— Le simple fait que j'ai de la sympathie pour vous ! Jeune seigneur ou dame Catherine, comme vous voudrez, si je vous avais laissee faire, vous seriez a l'heure actuelle maitrisee, soigneusement encadree par une douzaine d'alguazils, solidement ligotee et conduite en cet equipage jusqu'a la prison pour y attendre le bon plaisir de l'Alcade ! En quoi, alors, seriez-vous utile a votre ami ?

La colere de Catherine baissait a mesure que les sages paroles tombaient de la bouche du maitre d'?uvre. Pourtant, elle ne voulut pas s'avouer si vite vaincue.

Il n'aurait aucune raison de m'enfermer. Je suis une femme, on vous l'a dit, je ne suis point castillane mais fidele sujette du roi Charles de France, dame de parage au surplus de la reine Yolande nee d'Aragon...

Tenez ! s'ecria-t-elle en fouillant dans son aumoniere et en tirant l'emeraude gravee de la reine. Voici la bague qu'elle m'a donnee...

Doutez-vous encore ? Cet alcade ne pourra refuser de m'entendre !

— Seriez-vous la reine Yolande en personne que vous ne pourriez etre certaine de sortir vivante de ses griffes, d'autant plus qu'en Castille la famille d'Aragon est mal vue ! C'est un fauve que cet homme-la ! Quand il tient une proie, il ne la lache jamais ! Quant a ce joyau, il servirait uniquement a eveiller sa convoitise. Don Martin s'en emparerait, vous ferait jeter purement et simplement dans quelque basse-fosse jusqu'a ce que votre ami ait ete execute.

— Il n'oserait pas ! Je suis noble et je suis etrangere ! Je pourrais me plaindre...

— A qui ? Le roi Jean et sa cour sont a Tolede. Et seraient-ils ici qu'ils ne serviraient a rien. Le souverain de Castille est une chiffe molle que toute decision fatigue. Un seul pourrait vous ecouter favorablement : celui qui est le vrai maitre du royaume, le connetable Alvaro de Luna !

— C'est donc a lui que j'irai...

Hans haussa les epaules, alla chercher une cruche de vin posee sur un escabeau et emplit trois gobelets qu'il prit pres du puits.

— Comment ferez-vous ? Le connetable guerroie aux frontieres de Grenade ; l'alcade et l'archeveque sont maitres de la ville.

— Je verrai donc l'archeveque... Ne m'avez-vous pas dit que c'etait lui qui vous avait amene ici ?

— En effet. Monseigneur Alonso est un homme juste et bon, mais une haine farouche l'oppose a don Martin. Il suffirait qu'il demande la grace de votre ami pour que l'alcade la lui refuse. Comprenez que l'un a la force armee tandis que l'autre n'a que des moines. Don Martin le sait bien... et en abuse. Venez voir... Mais d'abord buvez un peu de vin. Vous en avez besoin.

La douceur du ton surprit Catherine. Elle leva les yeux. Son regard croisa celui de cet homme tranquille qui lui offrait du vin. Un inconnu, mais qui venait de se conduire en ami, et d'instinct elle en chercha la raison. Une sympathie spontanee ? Sans doute, mais aussi l'admiration qu'elle etait desormais accoutumee a lire dans les yeux des hommes. Elle connaissait son pouvoir et, apparemment, celui-ci n'y echappait pas.

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